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Le Jeu de la dame de Scott Frank


Pascal Bonitzer racontait un jour à propos du scénario de Tricheurs, grand film mal connu de Barbet Schroeder, sur l’addiction au jeu, que la gageure avait été pour lui de faire entrer une histoire d’amour dans un monde où il n’y en avait que pour la roulette, les deux univers concurrents risquant de s’annihiler l’un l’autre. Le Jeu de la dame, mini-série en sept épisodes de Scott Frank, adaptée d’un roman de Walter Tevis, déjà auteur des exploits au billard d’Eddie Felson dans L’Arnaqueur et La Couleur de l’argent, dont les transpositions au cinéma avaient fait oublier le matériau d’origine, décide de mettre au point une autre tactique. Plutôt qu’une passion en affrontant une autre, elles seront cette fois deux à se mesurer à l’addiction de sa jeune prodige pour le jeu : un amour fantomatique pour un grand échalas ayant jeté le torchon pour les échecs et une deuxième dépendance, triple même, au Librium et à l’alcool (qui rongeait déjà le beau personnage de Sarah dans L’Arnaqueur).

Le jeu de la dame (Netflix)

Pas étonnant alors que, pris de manière isolée, les deux ne fassent pas le poids (trop long épisode new-yorkais contre descente un brin postiche aux enfers, une fois de retour à la maison familiale) face à la flamme de son héroïne pour ses parties, filmées comme des histoires d’amour à suspense, des ébats aux rôles sans cesse redistribués et aux partenaires renouvelés, cavalier, dame, fou, et que la caméra se plaît à caresser avec sensualité, aiguillonnant, encerclant, découplant, décuplant ou chevauchant. Que le parcours initiatique fléché de Beth Hamon, orpheline combattante, solitaire et statique, quand ses yeux sont mouvants (beau parallèle avec la Lettre sur les aveugles de Diderot), potentielle perdante qui ne peut pas, ne veut plus s’incliner, de la découverte de son don vampirique dans une cave à l’apprentissage par des mentors (multiples et moins mémorables que le Bert Gordon de L’Arnaqueur ou que Felson lui-même dans La Couleur de l’argent), des épreuves à l’ascension des hautes sphères, laisse peu de place à l’intime, dévoré par l’artificialité et le représentation qu’implique le jeu, à l’émotion.



Pourtant c'est quand le jeu rejoint la part d'enfance qu'il convoque, quand la fille et sa mère d’adoption (belle idée que Marielle Heller, par ailleurs piètre cinéaste, sublime en Alma Whetley) s’amusent ensemble, taquinant leurs démons communs et leur besoin réciproque, comme dans une partie d’échecs, l’une de l’autre, que Le Jeu de la dame touche le plus. A la mort d’Alma, les condoléances à la perdante iront malheureusement à la joueuse plutôt qu’à l’orpheline, et la série reprendra son maintien, irréprochable, souvent élégant (ses effets de lumière et ses quelques ratages numériques mis à part) mais parfois engourdi, et toujours un brin distant. On se prendra alors à rêver au souffle de feu qu’une Jane Campion aurait, en son temps, su insuffler à une si belle partie de vie.


Le jeu de la dame (Netflix)

Le jeu de la dame

2020 / 60min / Drame

Titre original : The Queen’s Gambit

Nationalité U.S.A.

Chaîne d'origine Netflix



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